6 septembre 2007
ONCE UPON A TIME,
Il m'a d'abord fait attendre dans le couloir dix bonnes minutes. J'avais osé passer la tête à travers son bureau, sa porte était ouverte, il parlait anglais avec un gros bonhomme qui fumait le cigare.
" tu me laisses deux minutes s'il te plaît. Je termine un rdv."
Regard de bovin du gros bonhomme dans ma direction.
Je sens un sourire figé sur mon visage. "oui, oui...!"
Je déteste ça.
Attendre, encore, après avoir mis 3 mois pour obtenir un rendez vous, pour être là, dans ce couloir, comme quoi?
Une pauvre inconnue sans histoire. Une fille sans intérêt que l'on a à peine envie de respecter.
Je déteste ça.
Ces regards qui me dévisagent en sortant de l'ascenseur, des secrétaires dont le petit sourire pincé pourrait bien dire - tiens elle est là elle. Elle ne vas pas être déçue du voyage. Poireaute ma belle, poireaute. Tu vas être reçue! -
Des directeurs artistiques, croisés naguère dans d'autres maisons de disques, planqués à cet étage du label depuis au moins 5 ans maintenant. Je vois bien qu'il ne mettent pas longtemps à me remettre. - mais c'est... Comment c'était déjà son prénom? Tête baissée, ni vu ni connu. Elle ne m'a certainement pas reconnu. J'ai pris 6 kg depuis la dernière fois -
Un stagiaire vient faire des photocopies juste là dans mon couloir. J'attends entre l'imprimante et une plante verte toute desséchée. A croire qu'ici, ils n'ont même pas le temps d'arroser la pauvre herbe. Certainement trop occupés à parler anglais avec des gros bonhommes et faire poireauter des chanteuses bien essorées dont on ne sait que faire.
Le stagiaire me sourit. D'un sourire franc.
- ça fait plaisir de vous voir ici. Alors comment ça se passe pour vous depuis... -
- depuis mon expulsion?-
- oui enfin. C'était vachement bien votre voix tout ça. Moi je vous assure j'étais déçu quand vous êtes parti ! -
J'entends le gros qui sort du bureau.
Il était temps.
Je ne suis pas venu pour tailler la bavette à un pré ado tout excité à l'idée de raconter à ses potes toutes les "stars" qu'il aura croisé sur le chemin de la photocopieuse, au 3 ème étage d'un groupe qu'on appel une Major!
Du bout du couloir il aboie
- tu peux entrer -
Je déteste ça.
Je ne sais pas pourquoi je suis là. Je vois très bien à son air qu'il est autant enthousiasmé de me recevoir que de suivre la mère de ses gosses aux grands magasins, un week end de soldes.
Il me fait la bise.
Je déteste ça.
ça doit lui donner l'impression qu'il est jeune, qu'il est "sympa".
C'est fou ce que ces gens grossissent d'un rdv à l'autre. A croire qu'être assis sur son cul en attendant que ça passe, bien au chaud, ne prenant surtout aucune décision artistique pour ne pas faire de bruits, ça engraisse.
A cette vitesse dans deux ans il ne passera même plus la porte de sa planque.
- alors heu, je t'ai apporté mes nouveaux titres. J'ai tout fait. Seule. J'ai travaillé comme une acharnée. Bon évidement c'est pauvre en arrangement mais bon. Je compose uniquement au piano alors pour l'instant ce sont des pianos-voix.
Mais j'ai investi dans une carte son, deux ou trois choses pour faire avancer un peu mes idées. ça reste très épuré tu vois. J'entends exactement ce que je veux dans ma tête. On peut en parler, j'ai des tas de -
- oui, et bien on a qu'a écouter déjà. Ah, y' a 8 titres quand même! ça te dérange pas j'écoute un couplet un refrain ok?-
Déjà là j'aurais dû lui dire Merde.
Un couplet, un refrain! Je ne fais pas du rap... Il se passe autre chose dans une chanson. Pauvre con.
Et vas y que je te coupe la première. Et la deuxième. Et la troisième. Sans commentaire. Aucun. Le regard plongé dans les chiffres qui font défiler les seconde de mes morceaux. Vers le 6ème titre il laisse continuer la musique après le refrain. Tien peut-être un texte qui lui plaît mieux que les autres? Un rythme? Mes harmonies?
Mais non. Je sais très bien qu'il se rapproche de la fin du cd, il faut bien qu'il élabore un pitch, il gagne du temps!
7ème titre. Dernière chanson. Eject.
- bon c'est clair que c'est pas pour moi. C'est pas mon truc, c'est pas ma came.
Douche froide... C'est pas sa came!
Je retiens un - et c'est quoi ta came du gland? -
- On a une réunion d'écoute pas ce vendredi, mais le vendredi prochain. Je ne te promets rien mais je ferai passer aux autres DA. et puis je ne dirai pas que c'est toi d'accord. Comme ça il n'y aura pas de préjugés -
De préjugés? Mais j'ai fais quoi? Pour que tu n'assumes pas de dire qui je suis, j'ai fais quoi?
- on est obligé d'attendre encore 15jours? Tu ne peux pas les voir avant les autres? Vous êtes tous au même étage non?
Il baille.
- Oui mais... non. C'est bouclé comme ça donc je te tiens au courant ok? -
J'ai hésité entre reprendre mon cd, mon bébé, d'entre ses mains épaisses aux ongles rongés, en lui disant merde pour de bon, et rester toute quoi, figée par la déconcertante situation, la douloureuse situation, la révoltante situation.
Il baille encore.
Il feint de se gratter les couilles. De pire en pire.
Je me suis levée. Je ne sais toujours pas comment j'ai pu me contenir. Certainement parce que dès le début il m'avait traité comme une pauvre inconnue sans histoire. Une fille sans intérêt que l'on a à peine envie de respecter.
Je suis repassée devant l'imprimante. J'ai eu l'impression de ressembler à la plante verte à moitié morte. Il n'a pas pris la peine de me raccompagner à l'ascenseur. Des trucs sûrement plus important à trifouiller dans son froc.
Finalement je suis contente qu'il ne m'ait pas serré la main.
E.K
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